20 ans

Tu as 20 ans, mais tu viens toujours te faire soigner chez nous. Par habitude, parce qu'on s'occupe bien de toi, parce que les infirmières sont plus jeunes, certaines à peine plus âgées que toi, aussi parce qu'elles sont plus disponibles que les vieilles connes de médecine, un peu comme des mamans, non ? C'est un peu comme ça que je les vois moi aussi, parfois. Mais pour toi, certaines d'entre elles sont également des amies.
Tu as 20 ans, en apparence tu es tout ce qu'il y a de plus normal, mais tu es atteint d'une maladie chronique qui affecte certains composants des tissus de ton organisme. Sans traitement, cette maladie est léthale. Mais il y a un traitement, dont tu bénéficies depuis des années. Et grâce à lui, tu as une espérance de vie normale. Tu as une vie normale, excepté cette perfusion qu'il faut t'administrer deux fois par mois.

Pourtant.
Tu utilises ta maladie pour faire du chantage à tes parents. Tu quittes ton boulot. Tu prends des risques inutiles, as des accidents de voiture, de moto. Tu es fier de raconter que tu es impliqué dans des bagarres, ou encore que tu te prends des cuites, parfois les deux au cours de la même soirée. Tu m'as proposé de vous rejoindre la prochaine fois. Si ma première pensée a été que j'étais agréablement surpris que tu me considères quelque part comme l'un des tiens, la seconde a immédiatement été que ça n'allait vraiment pas être possible.

Tu manques parfois tes rendez-vous chez nous, tes bilans pourtant pas si fréquents auprès du professeur qui te suit.
Pourquoi ? Ta maladie fait-elle partie de toi, as-tu appris à l'accepter ? Ou est-elle ton ennemie, au point que tu cherches à la mettre au défi ? Cherches-tu à te prouver que tu es normal ? Au point de te donner l'impression de pouvoir mieux que ta maladie, contrôler ta vie ?

Alors que tu as comme bien d'autres, la vie devant toi.

Alors que tu as l'âge que parfois, j'aimerais avoir à nouveau. Peut-être pour faire des choix différents, ne pas faire à nouveau les mêmes erreurs.

P'tit con.